Un psychologue méditant explore ces deux mondes de l'esprit

A l’heure où la méditation touche le grand public et n’est plus réservée à une élite engagée sur une voie spirituelle orientale mais s’inscrit dans le champ de la santé mentale, la nouvelle génération de psychologues se trouve à la croisée des mondes. La pratique de la simple présence rencontre le soin psychique. La méditation alliée à la psychologie ouvrirait-elle un nouvel espace thérapeutique, une nouvelle entente de l’être humain plus profonde, plus juste, plus directe ?
Ce blog en est la recherche vivante.

vendredi 14 septembre 2012

La méditation est un chemin spirituel


La venue d’un maître occidental
La présence à Paris de Jack Kornfield, psychologue et maître de méditation américain, pour un week-end d’enseignements les 29 et 30 juin derniers fut un événement historique. Sa venue montre qu’il est possible de parler de la tradition bouddhiste de la manière la plus simple, directe et incarnée, sans avoir peur de la dimension émotionnelle, de la dimension d’amour et de compassion. Jack Kornfield représente une source d’inspiration en publiant Bouddha mode d’emploi, car il est l’exemple vivant de la possibilité d’établir une transmission authentique de la méditation qui soit entièrement occidentale. Il n’est ni nécessaire de devenir religieux ou oriental, ni de diluer l’enseignement du Bouddha pour qu’il devienne un produit sur le marché du bien-être généralisé. La méditation n’est pas limitée à un état de paix, mais consiste à s’ouvrir de manière profonde et radicale à chaque être, chaque chose, chaque situation. La méditation et le bouddhisme en France paraissent encore adolescents face aux Etats-Unis en terme de rencontre et de responsabilité. Le point culminant de la journée d’atelier qui réunissait plus de 300 personnes était pour cela une table ronde d’intervenants assez représentatifs de la place de la méditation dans le monde moderne : thérapeutes, philosophes et scientifiques. L’idée était de montrer la résonance des enseignements bouddhistes au sens large et de réfléchir sur la manière dont ils peuvent prendre une ampleur encore plus grande aujourd’hui. Les différents auteurs réunis autour de Jack Kornfield ont pu témoigner du travail à partir duquel ils tentent de présenter, de transmettre, de montrer des nouveaux chemins pour que la méditation et la pleine conscience puissent avoir une résonance sociale et politique. Que soit ici remerciés tous les intervenants pour leur collaboration.

Prendre garde au scientisme

Paul Grossman, chercheur américain, éditeur du journal Mindful avec James Gimian, membre du Mind&Life Institute, codirecteur du programme de MBSR en Europe, enseigne en Allemagne et en Suisse. Il travaille depuis de nombreuses années au rapprochement entre la mindfulness et la psychologie bouddhiste pour venir en aide aux malades. Dans son exposé, il nous a rappelé où en est aujourd’hui la science dans ses travaux – tout en soulignant combien il serait dangereux de répéter des informations pseudo-scientifiques sans validité expérimentale réelle. Au contraire, lorsqu’un champ nouveau s’ouvre cela impose une plus grande rigueur, à l’encontre de ce qu’on voit trop souvent affirmé sans examen critique : que la méditation guérirait de tout et n’importe quoi. Il s’agit là d’un défi très important qui participe de la possibilité d’avoir une méditation adulte et responsable, qui soit plus a même d’aider concrètement les gens.

Puis la parole était à Thierry Janssen, qui a été chirurgien pendant douze ans avant d’arrêter la carrière brillante qui s’ouvrait à lui. De Belgique, il est venu à Paris et a commencé son travail pour donner un autre sens à la maladie, d’une manière qui intègre l’être humain. Janssen nous a parlé du lien entre la méditation et le corps, lui qui accompagne des gens en souffrance physique. Mais surtout, il a tenu des propos courageux sur la liberté à laisser à la méditation par rapport à la science, enfermée dans sa volonté de tout valider et réduire en vue d’une utilisation. 

« Nous avons une responsabilité, nous autres qui nous intéressons à la pleine conscience et qui en parlons publiquement, parce que nous ne devons pas oublier que la méditation a été véhiculée par les traditions spirituelles de l’humanité. Or le Dalaï-Lama et d’autres maîtres ont voulu, avec de bonnes intentions, révéler à l’Occident que nous avions des outils à disposition dans les traditions spirituelles pour mieux comprendre l’esprit humain et le monde. Pour nous sensibiliser, ils ont pensé devoir parler le langage scientifique, qui a vu naître le Mind&Life et toutes sortes d’initiatives qui ont tenté de montrer que la méditation avait des raisons de nous intéresser puisqu’on pouvait ‘prouver’ qu’elle a des effets physiologiques. Mais attention ! La science est un système de croyance au service de la performance, de l’innovation, de la production consommable d’innovations. Nous devons être vigilants face au jeu du monde occidental qui tend à réduire la méditation à une xième recette qui pourrait nous permettre de vaincre la nature, la nôtre avant tout. Une semaine de formation à la pleine conscience, c’est bien, mais ne nous installons pas trop vite dans une position de savoir, car c’est le travail d’une vie. Ayons l’humilité d’être en chemin. Alors peut-être pourrons-nous transmettre l’outil spirituel de la pleine conscience. Sans cela nous allons le dénaturer et un jour, cela va nous revenir à la figure, comme un « business de la mindfulness ». C’est tentant de répondre à la demande croissante, mais attention ! Même si le mot peut faire peur dans un monde scientifique, c’est d’abord un chemin spirituel. » 

En tant que professionnel de la santé mentale et pratiquant de méditation, je souscris entièrement à la justesse du propos de Thierry Janssen. Merci de nous rappeler que la méditation et la pleine conscience ne peuvent pas être un outil pour mieux fonctionner, mais une manière de retrouver notre humanité. Et merci de nous avoir montré que la méditation nous met en rapport avec la santé primordiale, quelles que soient les circonstances, qui est au cœur de l’enseignement de la tradition bouddhiste. Il faut redoubler de vigilance et bien tenir chaque champ dans son horizon de pensée propre, sans rapprochements hâtifs – la tendance occidentale à ramener l’inconnu au connu pour mieux s’en servir est à l’œuvre dans le domaine de la méditation aussi implacablement qu’ailleurs.

Psychiatrie, philosophie, thérapie
Christophe André, dont le livre récent sur la méditation a rencontré un très grand public, a joué un rôle fondamental dans l’introduction de la pleine conscience en France, grâce a une étonnante synchronisation avec la société française. Il devait parler à partir de son travail de psychiatre de la manière dont la méditation et la pleine conscience peuvent aider dans une perspective thérapeutique mais, bouleversé par l’enseignement de Jack Kornfield, il a changé d’angle de vue. Il nous a rappelé que le maintenant est toujours magique, que la pleine conscience et la méditation nous font découvrir. L’enseignement du Bouddha nous montre que l’intention en tant qu’elle est dans le présent, cette inspiration de notre cœur est juste et claire. Mais ce n’est en rien l’instrumentalisation de la méditation réduite à un projet qui nous coupe à la fois du présent, de cette magie du maintenant et de la vérité de l’intention, qui est l’ouverture inconditionnelle du cœur. 

Michel Bitbol est scientifique et philosophe, collègue du regretté Francisco Varela, directeur de recherche au CNRS. Il a écrit notamment Physique et philosophie de l’esprit et De l’intérieur du monde  il a présenté les liens entre la méditation et la phénoménologie, qui est un champ extraordinaire de compréhension de l’esprit humain. En un bref exposé il a proposé un panorama dans le travail de Husserl, montrant comment la méditation a à voir avec la connaissance, nous ouvrant à un autre mode jusqu’à présent inconnu, ce pourquoi elle pourrait être une des grandes sources d’inspiration pour notre temps.

Enfin avec Trudy Goodman, proche collaboratrice de Jack Kornfield, nous avons entendu l’excellence de la tradition bouddhique américaine Pratiquante de longue date, elle a une expérience impressionnante qui l’a conduite à de nombreux explorations et travaux. Diplômée en psychologie, psychothérapeute pendant 25 ans, elle a créé à Boston un  institut pour la méditation et la psychothérapie et a fondé un centre à Los Angeles où elle enseigne la méditation. Trudy avec grâce et dans son français impeccable nous a fait mieux voir la profondeur de la pratique de la méditation et comment elle s’incarne dans notre vie. Peut-être après l’avoir écouté pourrions-nous dire de la méditation ce que disait Baudelaire du génie : qu’elle est « l’enfance retrouvée à volonté ».

Aujourd’hui, en France

Bien que l’Amérique soit une grande source d’inspiration, encore reste-t-il à trouver, en Europe, une manière de nous approprier et de présenter la méditation. Comment va-t-elle s’incarner en France ? Le rapport à la langue, à la culture française, à la psychanalyse et à la philosophie sont des pistes à creuser. Et en chacun, le profond désir d’être habité par cette pratique qui transforme la vie de fond en comble. Un humble souci d’authenticité peut seul être garant de la tradition millénaire de la méditation assise. Comme le disait Chögyam Trungpa à des thérapeutes : « L’essentiel est d’apprendre à dire la vérité à ses patients. Alors ils vous répondront, parce qu’il y a une force dans le fait de dire la vérité plutôt que de tordre votre logique pour l’adapter à leur névrose. La vérité, ça marche toujours. Il faut qu’il y ait une honnêteté fondamentale ; voilà la source de la confiance. »
Nicolas D'Inca

Pour aller plus loin :

Jack Kornfield www.jackkornfield.com/

Cet article a été publié dans Bouddhisme Actualités N°149 Septembre 2012
photo Kornfield © Soizic Michelot