Un psychologue méditant explore ces deux mondes de l'esprit

A l’heure où la méditation touche le grand public et n’est plus réservée à une élite engagée sur une voie spirituelle orientale mais s’inscrit dans le champ de la santé mentale, la nouvelle génération de psychologues se trouve à la croisée des mondes. La pratique de la simple présence rencontre le soin psychique. La méditation alliée à la psychologie ouvrirait-elle un nouvel espace thérapeutique, une nouvelle entente de l’être humain plus profonde, plus juste, plus directe ?
Ce blog en est la recherche vivante.

mardi 27 septembre 2011

Jack Kornfield. Une psychologie bouddhiste


Portrait de Jack Kornfield. Une psychologie bouddhiste


Paru dans le magazine Inexploré N°12 sept./nov. 2011


Nicolas D’Inca est psychologue clinicien, doctorant en psychologie à l’Université de Paris, pratiquant à l’Ecole Occidentale de Méditation.


Jack Kornfield est l’un des enseignants principaux du bouddhisme en Amérique. Pratiquant depuis plus de quarante ans, psychologue, marié et père de famille, sa présentation laïque de la méditation a ouvert la voie à des milliers d’Occidentaux.




La famille dans laquelle Jack Kornfield naît en 1945 est loin d’un idéal de paix : le père violent et tyrannique terrorise sa femme et ses quatre enfants. Jack apprend vite à se protéger, s’enfermant dans une forme de paix certes artificielle, mais vitale. Cette enfance laisse des séquelles. Trouver le moyen de se libérer de sa souffrance intérieure devient une quête. A 22 ans, l’esprit confus mais plein d’ardeur, le jeune homme s’engage dans l’humanitaire en Thaïlande, après un diplôme en études orientales.


Une souffrance tenace


C’est en Thaïlande qu’il rencontre Ajahn Chah (1919-1992), reconnu pour avoir été l’un des plus grands maîtres bouddhistes du 20ème siècle. Il fait partie des moines de la forêt, une tradition thaïe du bouddhisme theravada centrée sur la méditation. Lors de leur première entrevue, Ajahn Chah dit à Jack Kornfield : « J’espère que vous n’avez pas peur de souffrir. » – « Que voulez-vous dire par là ? » lui demande Kornfield étonné. « Il y a deux sortes de souffrance » lui répond le méditant, « la souffrance que vous essayez de fuir, qui vous suivra partout, et la souffrance que vous acceptez de regarder en face, trouvant la libération que le Bouddha nous a enseigné. »


Cette introduction, qui ne manque ni d’humour, ni de chaleur, le marque pour la vie. Jack s’assigne désormais pour tâche d’affronter la souffrance afin de parvenir à s’en libérer. Mais il lui reste un long chemin à parcourir. Il passe cinq ans dans les monastères de l’Asie du sud-est, vivant la vie errante des moines de la forêt, d’abord auprès d’Ajahn Chah devenu son maître en Thaïlande, puis de Mahasi Sayadaw (1904-1982) en Birmanie. Tandis que le premier enseigne la vie monastique comme abandon de tous les attachements et comme occasion de pratiquer l’attention et la compassion en toute situation, le second met l’accent sur la méditation silencieuse qui permet de voir directement son esprit. Kornfield connaît des expériences d’extase et de lumière, entre en contact avec la vacuité. Mais il se coupe de ses émotions et devient incapable de les connaître. Revenu de ses états méditatifs, il se voit agir comme quelqu’un de confus. Une question le hante : Cette tendance à quitter le monde ordinaire pour s’enfermer dans une illusion sans rapport avec la réalité, est-cela qu’on appelle spiritualité ?


Affronter ses émotions


A son retour en Amérique en 1972, Jack Kornfield est brutalement confronté à l’effondrement de son « nirvana » qui lui apparaît soudain si dépendant des conditions extérieures. Il se trouve face à la nécessité de prendre sa vie en main. « J’étais émotionnellement immature, et tous mes conflits anciens avec ma famille et les amis me revinrent intacts » confie-t-il avec honnêteté.


Après des années de pratique spirituelle, Kornfield découvre en effet qu’il a toujours les mêmes problèmes affectifs, les mêmes troubles émotionnels, les mêmes difficultés relationnelles qu’avant son départ. Ses années de retraite l’ont rendu presque insensible. Lui qui a tant médité sur les principes de générosité, d’amour et de compassion, il ignore ce qu’il ressent. Le voyant si loin de lui-même, une de ses petites amies lui offre un carnet dans lequel il pourra inscrire ses sentiments et ses goûts, afin de commencer à les connaître. « Retrouver un rapport à mes émotions a été un long processus qui bouleversa ma vie », rappelle-t-il dans son livre Après l’extase, la lessive – véritable cartographie des périls de la vie spirituelle, basée sur son expérience et celles des maîtres des nombreuses traditions spirituelles de l’humanité.


Comment intégrer la méditation dans sa vie ? Cette question vitale le conduit à de grandes transformations intérieures. Kornfield abandonne ses robes de moine et commence à conduire un taxi pour gagner sa vie, s’engage dans une relation amoureuse durable et reprend des études en psychologie clinique qu’il poursuivra jusqu’au doctorat. Abandonnant le combat contre lui-même, il passe de la voie ascétique de la méditation à une manière plus compassionnée de se traiter, tournée vers la guérison intérieure.


Car le fait de vouloir sans cesse s’améliorer tout en refusant d’abord de s’accepter, est un piège qui peut égarer. Cette recherche d’un niveau supérieur de vie spirituelle signe l’emprise du « matérialisme spirituel », comme le nomme Chögyam Trungpa. Jack Kornfield comprend le grand danger qui menace les Occidentaux dans leur approche de la méditation : elle est utilisée pour demeurer en paix, nier ses émotions et ne plus se confronter aux difficultés et aux exigences de la vie moderne.


La méditation pour l’Occident


Le tournant est décisif. Jack Kornfield devient un bâtisseur de pont entre la méditation bouddhiste et la psychologie occidentale. Il amène certains changements profonds dans l’approche du bouddhisme aux Etats-Unis, portant notamment sur la reconnaissance des émotions et l’importance de la vie psychologique et affective des pratiquants. Rien ne sert de rêver, les problèmes personnels ne peuvent disparaître seulement avec la méditation. Un travail sur soi est indispensable.


Pour cela, Jack Korfield veut créer un cadre contemplatif adapté à la vie occidentale. Avec deux amis pratiquants, Sharon Salzberg et Joseph Goldstein, ils fondent en 1976 la Insight Meditation Society (IMS) et achètent un vieux monastère catholique dans les bois de Bare, dans le Massachussets. Ils invitent les pèlerins en quête spirituelle à les rejoindre pour des retraites de pratique. On y enseigne notamment l’Insight meditation, ou méditation intuitive, dite aussi méditation de la vue claire, plus connue en Asie sous le nom vipassana. Porter attention à son expérience du moment présent est au cœur de cette pratique.


Laïcs s’habillant à l’occidentale, ayant travail et famille, les gens viennent à eux pour des conseils pratiques sur la manière d’intégrer l’attention au quotidien, de vivre « méditativement » dans le monde. Petit à petit, naturellement, il n’y a plus de séparation entre la spiritualité et le monde moderne. Pionnier dans cette transmission rigoureuse et non sectaire de la méditation qui fait la force du bouddhisme aux Etats-Unis, Kornfield en plaisante volontiers : « La plupart des gens à qui j’enseigne la méditation ne se sentent pas bouddhistes, ce qui me convient tout à fait. Il est bien préférable de devenir un bouddha qu’un bouddhiste ! »


Quatre principes qui transforment l’attention


En tant que thérapeute, Jack Kornfield utilise pour soulager les souffrances ce qu’il a appris par la méditation. L’attitude pleine de compassion envers soi-même, ses émotions et ses ressentis, est mise en pratique dans la psychologie bouddhiste via la technique RAIN – reconnaissance, acceptation, investigation et non-identification.


Il s’agit en premier lieu de reconnaître ce qui est présent. « Nous sortons du déni qui sape notre liberté » explique Jack Korfield. Puis de laisser à l’expérience sa place, de lui donner droit. « Accepter nous permet de nous détendre et de nous ouvrir. » Nous pouvons alors goûter les émotions et les examiner. C’est ce que le maître Thich Nhat Hanh appelle « voir en profondeur ». Nous constatons la nature changeante et impersonnelle de nos expériences. « En l’absence d’identification, nous pouvons prendre soin de nous-mêmes et des autres, avec respect, tout en n’étant plus liés par les peurs et les illusions du sentiment étroit de nous-mêmes. » explique-t-il dans Bouddha mode d’emploi, véritable manuel de psychologie bouddhiste.


Ce processus en quatre étapes libère des difficultés par l’utilisation des ressources intérieures de l’attention et de la conscience en éveil. Selon Jack Kornfield, la thérapie — comme la pratique de la méditation — est une activité révolutionnaire qui ne peut être accomplie confortablement. C’est un défi constant à l’identité que chacun se forge au fil de sa vie. Parler sans cesse de ses problèmes et se centrer sur son moi blessé n’aide pas, pense-t-il, « ce qui amène la liberté est de faire face à la racine même de cette souffrance, et de la fausse identité qui s’est construite autour d’elle, plonger droit en son cœur jusqu’à ce qu’elle retourne à sa véritable vacuité. »


Accepter son chagrin en profondeur, sans le juger, reconnaître les situations de notre vie qui font mal, avec douceur, constitue un premier pas vers la guérison. L’approche de Kornfield est ancrée dans l’expérience la plus directe, la plus personnelle et la plus humaine ; c’est sans doute ce qui fait sa force, et son succès. En 1988, le psychologue bouddhiste fonde le centre Spirit Rock en Californie, un cadre communautaire plus vaste que l’IMS qui inclut les différentes approches bouddhistes, conservatrices et novatrices.


Le dialogue contre la haine


Un ami et collègue enseignant de Kornfield appelle cet endroit « les Nations Unies du Bouddhisme » tant son fondateur essaie, depuis des années, de réunir les représentants de chaque tradition et de créer les conditions d’un véritable dialogue entre les différents courants bouddhistes implantés en Occident.


Car dès la fondation de l’IMS en 1976, Jack Kornfield avait découvert un problème dans le monde bouddhiste : chaque école pense être la détentrice du savoir absolu. Cela crée la haine et la peur. Kornfield, fort de l’enseignement de son maître Ajahn Chah, milite pour sortir des antagonismes par une pratique appelée « Arrêter la guerre. »


Pour cela, il organisa en 1989, la première rencontre des enseignants bouddhistes occidentaux, en présence de Sa Sainteté le Dalaï Lama. Ce dernier demanda quel était l’écueil principal rencontré par les Occidentaux dans leur approche du bouddhisme. Tous s’accordèrent à dire que l’obstacle majeur est la haine de soi, la honte et la culpabilité. Après de longues minutes de discussion avec ses interprètes, le Dalaï Lama s’écria, choqué : « Mais c’est affreux ! Nous sommes tous dignes d’amour ! »


Les affections douloureuses dues au manque de respect pour soi et à la dépression étaient peu connues dans les sociétés traditionnelles où le bouddhisme a pris racine. Fort de cette leçon, Jack Kornfield met l’amour au cœur de son enseignement de la méditation. Dans Bouddha, Mode d’emploi, il écrit : « Sous la complexité de la psychologie bouddhiste demeure la simplicité de la compassion. »


L’expression « un cœur sage » était d’ailleurs le titre original de l’ouvrage. Elle signifie que nous sommes doués de bonté et non pas damnés par le péché originel. Quelque chose en l’homme, malgré sa souffrance et ses aveuglements, voit la vérité. La réalisation est directe, venant de ce qu’Ajahn Chah appelait « Celui qui sait », le cœur clairvoyant, aimant, sage. C’est le point clef de tout l’enseignement de Kornfield, et de sa pratique thérapeutique.


Lors d’une conférence en avril dernier à New York, il expliquait que « le Bouddha ne cherchait pas à créer une religion, ce qui l’intéressait était de décrire la manière dont les êtres humains sont pris par la peur, l’anxiété, la confusion et la haine (…) La méditation est simplement la compréhension et le développement de l’attention, de la présence et de la tendresse bienveillante du cœur qui existent en chacun de nous. »




A lire :
Jack Kornfield, « Bouddha, mode d’emploi », Belfond, 2011
Collection « l’esprit d’ouverture » www.espritdouverture.fr
Le site de l’auteur www.jackkornfield.org

vendredi 16 septembre 2011

Se libérer du moi, selon Jack Kornfield



Grâce à la parution française du dernier livre de Jack Kornfield « Bouddha, mode d’emploi » (éditions Belfond, collection L’esprit d’ouverture), et après sa présentation dans Psychologie & Méditation, nous pouvons examiner un point crucial de son approche. En tant que psychologue bouddhiste, Kornfield est amené à travailler avec des gens en souffrance selon l’éthique professionnelle des psychologues, mais aussi suivant les principes fondamentaux du dharma. Il se réfère notamment à l’Abhidharma, le texte ancien le plus complexe sur la nature de l’esprit. Et selon le Bouddha, le moi n’existe pas.

Voir au-delà du moi
Un article du célèbre magazine Time (2002) donne à sourire et à réfléchir : « Après plus d’un siècle de recherches, les scientifiques qui étudient le cerveau ont depuis longtemps conclu qu’on ne peut concevoir aucun endroit dans le cerveau physique où localiser le moi, et que ce dernier, tout simplement, n’existe pas. » C’est ce point qui retient particulièrement notre attention. L’au-delà de l’ego, comme je l’ai maintes fois évoqué dans ces pages, sera une clef de travail très féconde pour les psychologues du XXIe siècle. Jack Kornfield explique dans « Bouddha, mode d’emploi » : « Le fonctionnement de cette capacité centrale, que Freud appelle “ego”, est l’une des plus importantes définitions de la santé mentale dans la psychologie occidentale. (…) Le don de la psychologie bouddhiste est de nous conduire à l’étape suivante, de nous faire évoluer jusqu’à la capacité de voir au-delà du moi distinct. Le moi fonctionnel, même à son degré le plus sain, n’est pas qui nous sommes. Puis elle dissout l’identification et révèle l’ouverture joyeuse qui existe au-delà du moi. » Cette question est généralement mal comprise. Certaines réactions défensives le montrent, comme lors du colloque « Au-delà du moi, la liberté ? » du 27 novembre 2010, qui réunissait pour la première fois psychanalystes et enseignants de méditation pour une rencontre universitaire. En effet, dès que l’on parle de dépasser le moi la crainte surgit de tomber dans le non-moi, de se confondre avec les autres ou le monde, dans une sorte d’effondrement psychotique, la vacuité devenant alors synonyme de béance morte. C.G. Jung s’est lui-même beaucoup mépris à ce sujet, puisqu’il mettait en garde les Occidentaux contre les dangers de la méditation qui mène selon lui à la dissolution de l’identité, donc à la folie. Kornfield lève les ambiguïtés lorsqu’il invite à se fier à « l’ouverture joyeuse qui existe au-delà du moi. » Ce n’est pas un vide mortel mais bien une ouverture vivante qui se trouve au-delà, en deçà du moi, ou tout simplement sans aucune référence au moi.

Une illusion tenace
L’immense maître Dogen (1200-1253), qui ramena la méditation ch’an de la Chine jusqu’au Japon où elle devint le Zen, a dit : « Étudier la voie, c’est étudier le moi / Étudier le moi, c’est oublier le moi / Oublier le moi, c’est être éveillé par toutes les choses. » Le problème du moi, de l’ego, est donc une question qui se pose depuis les premiers temps du bouddhisme, et chaque fois qu’il pénètre dans un nouveau monde, comme ici au Japon. Mais en Inde dès les premiers temps de l’enseignement du Bouddha lui-même, il eut à faire face aux attaques des ‘éternalistes’, qui défendait le point de vue de l’atman, l’âme immortelle et individuelle. Ces délicates questions ont été traitées en Occident par la philosophie avec la pensée métaphysique et par la religion avec la pensée théologique. C’est pourquoi aussi nous voulons sans cesse rabattre le bouddhisme sur ces catégories connues. Cependant aujourd’hui, à l’ère de la science, une autre voie qui traite du problème du moi existe, c’est la psychologie. Et ici la confusion règne plus encore que dans les systèmes de pensée traditionnels qui avaient le mérite d’avoir été affinés pendant des siècles. La psychologie, en à peine plus d’un siècle, a pris le devant de la scène, puisque tout le monde se considère comme une personne, un moi, une conscience, un sujet etc. Cette identification conceptuelle a tellement pris racine, qu’il est très difficile d’entendre une autre voix, comme celle de la psychanalyse authentique. Le fait que réside au cœur de l’homme un inconscient, une dimension cachée et autre, plus vaste que le moi, devrait déjà faire réfléchir. L’ouverture vers la spiritualité et la notion de Soi développée par Jung également. Le combat incessant de Jacques Lacan contre l’ego-psychology anglo-saxonne, largement répandue désormais sous les formes les plus dévoyées dans toutes les thérapeutiques à la mode qui prétendent ramener l’individu dans une conformité à la norme sociale, est un exemple qui nous touche de près. Néanmoins même en France, et à quelques décennies près, cette vision s’estompe. L’illusion d’un moi séparé et autodéterminé par sa volonté reprend le dessus. Au fond, parler de l’ego, de ses problèmes et de ses émotions, n’est qu’une manière qu’a trouvée l’ego de se faire exister… L’incertitude, l’ouverture, la présence réelle du monde, le ratage et la perte, l’impossibilité de saisir son être propre, en un mot la liberté, tout cela est nié. La psychologie bouddhiste pourrait s’avérer une chance si elle ouvre à nouveau l’entente de l’être humain comme esprit (psyché) qui dépasse de loin sa conscience et son ego. C’est le pari de Jack Kornfield.

Une absence d’identification
Pour la psychologie bouddhiste selon Jack Kornfield, la non-identification est le garant de la paix authentique : « En l’absence d’identification, nous pouvons prendre soin de nous-mêmes et des autres, avec respect, tout en n’étant plus liés par les peurs et les illusions du sentiment étroit de nous-mêmes. » Ce que nous prenons pour un moi solide est provisoire, fictif, construit par une saisie temporaire à quelque partie de l’expérience. Le moi se solidifie lui-même, selon une image traditionnelle, comme de la glace flottant sur l’eau. La glace est en réalité faite de la même substance que l’eau, mais l’identification et la saisie solidifient l’eau en glace. De façon similaire, nous nous sentons séparés des autres et du monde, et souvent même de qui nous sommes réellement, en nous accrochant à une illusion. L’ego, certes, remplit une fonction organisatrice nécessaire. En psychologie occidentale, il a un fonctionnement sain dont il ne faut pas nier l’importance. Mais à terme, même ceux qui sont fragiles finiront par tirer bienfait de la liberté qui demeure au-delà de l’image de soi, au-delà de l’illusion d’un moi, nous rappelle Kornfield. En psychologie bouddhiste, le petit sentiment de soi dérive de l’illusion de séparation et nous subissons l’angoisse qu’elle crée. Bouddha mode d’emploi explique : « Quand nous libérons la saisie de notre propre image, il y a un énorme soulagement et le monde s’ouvre à nouveau à nous. » La psychologie bouddhiste appelle cela absence de soi ou non-soi, c’est ainsi, et ne devrait menacer quiconque. Il n’y pas de risque de disparaître soudain, sans identité, dans un trou noir. Kornfield dit lui-même « Quand je travaille avec les gens, la base de travail est la vacuité. » Son usage thérapeutique de la notion de vacuité est étonnante, « ce qui amène la liberté est de faire face à la racine même de cette souffrance, et de la fausse identité qui s’est construite autour d’elle, plonger droit en son cœur jusqu’à ce qu’elle retourne à sa véritable vacuité. » Accepter son chagrin en profondeur, sans le juger, reconnaître les situations de notre vie qui font mal, avec douceur, est un premier pas vers la guérison. La vacuité est, au niveau individuel, une libération des masques et des déguisements qui, de toute façon, nous vont mal. Quand l’identification au petit sentiment de soi diminue, seul demeure le cœur vaste qui est relié à toute chose. C’est pourquoi la compassion est traditionnellement inséparable de la vacuité. Jack Kornfield, avec bienveillance, veille pour nous le rappeler.
Nicolas D’Inca
A lire :
Jack Kornfield, « Bouddha, mode d’emploi », Belfond, 2011