Un psychologue méditant explore ces deux mondes de l'esprit

A l’heure où la méditation touche le grand public et n’est plus réservée à une élite engagée sur une voie spirituelle orientale mais s’inscrit dans le champ de la santé mentale, la nouvelle génération de psychologues se trouve à la croisée des mondes. La pratique de la simple présence rencontre le soin psychique. La méditation alliée à la psychologie ouvrirait-elle un nouvel espace thérapeutique, une nouvelle entente de l’être humain plus profonde, plus juste, plus directe ?
Ce blog en est la recherche vivante.

jeudi 16 juin 2011

MBSR, réduire son stress par l’expérience directe de la réalité

Rencontre avec Delphine Rochet, psychologue clinicienne, titulaire d’un Master de philosophie, pratiquante de la méditation. Formée à la MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction), la technique de réduction du stress par la pleine conscience développée aux Etats-Unis par Jon Kabat-Zinn, elle nous présente les principes et les applications de cette technique.

Nicolas d’Inca : Qu’est-ce que la MBSR ?
Delphine Rochet : L’approche de la mindfulness consiste à développer une attention dans le présent permettant de développer une attitude de non-jugement et d’auto-observation qui favorise la conscience de soi. C’est une pratique méditative allégée et laïcisée. La MBSR est spécifiquement utilisée pour la réduction du stress. Il s’agit de suivre un protocole en groupe de huit semaines : une séance hebdomadaire de 2h30, des exercices quotidiens à faire chez soi à l’aide d’un manuel et d’un CD, ainsi qu’une journée en silence. Cette technique allie différents outils comme la méditation assise, le body scan (ou balayage corporel), la pratique du yoga et du qi-gong, la méditation marchée…
La MBSR s’adresse spécifiquement aux gens touchés par le stress, atteints de troubles anxieux, ceux qui ont des douleurs chroniques, ou des troubles psychosomatiques (psoriasis, eczéma, troubles intestinaux ou du sommeil). Elle est contre-indiquée dans le cas de troubles psychopathologiques trop graves comme la psychose, le trouble de personnalité borderline, ou un épisode dépressif majeur en cours. En effet, c’est une technique d’exposition aux phénomènes intérieurs qui requiert une certaine stabilité, un socle intérieur. C’est pourquoi le groupe est si important car il est à la fois un soutien et un moyen de se rendre compte que les autres sont essentiellement touchés par les mêmes difficultés que nous. Chaque personne souhaitant participer à un groupe est d’abord reçue pour un entretien préliminaire d’évaluation.

Pourquoi vous êtes-vous tournée vers cette pratique ?
C’est une méthode qui m’a permis de réunir deux champs d’intérêt qui étaient vraiment importants pour moi, à savoir la pratique clinique et la méditation. J’ai entendu parler de la Mindfulness par une amie très chère, Manuela Santa-Marina, qui se formait auprès de Christophe André à l’hôpital Saint-Anne alors que j’étais étudiante en psychologie et que je pratiquais la méditation. Parler de méditation à l’université était difficile, car c’était assez vite connoté négativement : infondé scientifiquement, New Age, spirituel. C’est pourquoi la MBSR telle qu’elle a été pensée par Jon Kabat-Zinn a permis de revaloriser la pratique de la méditation aux yeux des cliniciens et des universitaires. En effet, les études scientifiques ont permis d’en objectiver les effets et de la laïciser pour l’introduire dans le champ médical.

En quoi consiste la formation ?
Le prérequis le plus fondamental pour pouvoir instruire cette méthode est d’être soi-même pratiquant de méditation. Ce point est vraiment très important parce que tout repose sur la dimension expérientielle de l’approche. Lire quelques livres sur la mindfulness peut donner des perspectives intérieures mais ce n’est pas suffisant pour goûter les fruits de ce que la méditation peut apporter dans la vie en terme de santé mentale. Le protocole des huit semaines MBSR mis en œuvre par Kabat-Zinn repose sur l’expérience, nous demandons aux patients de s’astreindre à des exercices quotidiens. Il faut donc pouvoir soutenir et contenir leurs questionnements, leurs expérimentations. Si nous-mêmes n’en avons pas fait l’expérience, nous ne sommes pas au courant de ce que nous leur demandons et ne pouvons pas leur être d’une grande aide. Cette exigence de pratique personnelle est un des éléments qui garantissent selon moi le sérieux de la méthode, elle responsabilise les praticiens par rapport à leur propre pratique.
La formation en elle-même est un cursus en cinq étapes qui a été mis en place par l’équipe du centre de Mindfulness de l’école de médecine de l’université du Massachussetts (Umass) où tout a commencé avec Jon Kabat-Zinn en 1979.

Ce programme a donc l’air adapté à des bouddhistes ?
L’idée est justement que ce soit laïc, accessible, hors de tout cadre de référence. Nul n’est obligé d’adhérer à une quelconque doctrine. Il s’agit de dispenser des outils et de proposer une manière de se relier à soi. C’est ce point qui compte. La démarche spirituelle n’est pas le propos.

Concrètement, comment la MBSR aide à lutter contre le stress ?
La compréhension que j’en ai est que cela permet de développer un nouvel espace en soi, intermédiaire entre les événements intérieurs et le comportement développé dans la vie. Cela permet de sortir du « pilote automatique », le fait d’être toujours sur un mode de fonctionnement habituel ou conditionné. Le point de départ est le fait de s’asseoir, de prendre un temps pour soi et ainsi offrir un espace qui permet aux phénomènes intérieurs de se déployer.

Cette dimension d’espace en psychologie a été bizarrement très peu travaillée. Elle est cependant fondamentale ?
Je crois justement que la Mindfulness touche cela en plein coeur. Toutes les formes de psychothérapies ouvrent un espace. Mais l’espace n’est pas thématiquement travaillé dans les autres approches. Ici, c’est à mon sens un des ingrédients thérapeutiques majeurs, en tant qu’ouvrir un espace permet une nouvelle marge de manœuvre dans notre rapport à nous-même, aux autres et au monde.
Cet espace, par la prise de contact et l’observation, permet de donner une place à la liberté. En effet, pouvoir prendre conscience de l’agitation de l’esprit par exemple, permet d’en être un peu moins esclave car nous sommes moins identifiés à cette agitation. Cela ne change pas pour autant la réalité : l’esprit est agité car il est ainsi fait, les émotions et les pensées sont toujours là, et nous serons encore soumis à la peine et à la mort. C’est la donne d’être humain ! Mais peut-être que par la méditation il s’agit justement d’apprendre à être vraiment humain c’est-à-dire apprendre à faire l’épreuve de notre liberté.

L’espace est une dimension cachée de la réalité, qui se trouve entre le psychique et le monde, et à part certains psychanalystes anglo-saxons comme Winnicott, il n’y a pas eu beaucoup de travaux consacrés à cette dimension ?
Tout à fait, d’ailleurs la référence à Winnicott est pour moi très importante car on peut penser la méditation comme un prolongement du concept de holding, la mère contenant son enfant. On identifie bien cette nécessité pour un être humain d’être contenu dès sa naissance, et peut-être que devenir adulte passe par le fait d’apprendre à se contenir soi-même. En développant cette qualité de contact à soi-même et aux choses telles qu’elles sont, nous devenons plus familier avec ce qui se passe. Se relier à la réalité directe des phénomènes intérieurs permet de les toucher à la racine. Si nous sommes anxieux par exemple et que nous pouvons simplement le reconnaître alors nous ne sommes plus immédiatement pris dans l’angoisse de l’angoisse. Nous appréhendons l’angoisse directement ce qui permet déjà de réduire le niveau de souffrance, de stress, de réactions conditionnées.
La mindfulness est une technique thérapeutique très confrontante. De ce point de vue, la MBSR est une proposition radicale par rapport à d’autres approches thérapeutiques. Nous ne cherchons pas à changer les choses ou atteindre un résultat. Il y a là un paradoxe profond : faire l’épreuve de la réalité telle qu’elle est nous ouvre une perspective de transformation. Tenir la posture, tenir ce rapport direct aux choses, à soi et au monde est le défi que nous devons relever dans la méditation.


Propos recueillis par Nicolas d’Inca