Un psychologue méditant explore ces deux mondes de l'esprit

A l’heure où la méditation touche le grand public et n’est plus réservée à une élite engagée sur une voie spirituelle orientale mais s’inscrit dans le champ de la santé mentale, la nouvelle génération de psychologues se trouve à la croisée des mondes. La pratique de la simple présence rencontre le soin psychique. La méditation alliée à la psychologie ouvrirait-elle un nouvel espace thérapeutique, une nouvelle entente de l’être humain plus profonde, plus juste, plus directe ?
Ce blog en est la recherche vivante.

vendredi 21 août 2009

Entrez dans la confiance


La confiance du Bouddha
La confiance ne va pas de soi dans le monde moderne, bien au contraire. Nous entendons plus souvent parler de la nécessité d’avoir confiance, on ne sait trop comment, face à un avenir incertain, ou de manque de confiance en soi… L’éducation ne semble pas répondre complètement à ce besoin et combien de parents disent de leurs enfants qu’ils n’arrivent pas à apprendre à l’école et à bien grandir, car ils n’ont « pas confiance en eux ». Mais comment avancer dans la vie sans confiance ? Ne pas pouvoir se reposer sur qui l’on est, ne pas s’estimer assez, ne nous laisse-t-il pas complètement démunis ? Avoir confiance dans une vie pleine et riche devient dès lors difficile.
Il suffit de regarder une statue du Bouddha, une image qui le représente, pour sentir la confiance inébranlable qui émane de lui. Son esprit d’enfance, son esprit de fraîcheur, il ne l’a pas abandonné, mais lui a laissé toute la place. Le Bouddha incarne un sens de santé que rien ne semble pouvoir altérer. La tradition raconte que lorsqu’il atteignit l’éveil à Bodhgaya, le seigneur du monde en personne vint mettre le Bouddha à l’épreuve. Le grand Brahma se dressa devant lui et le questionna sur la validité de sa découverte. Qu’est-ce qui prouve au monde que cet homme est éveillé ? Alors le Bouddha fit un geste tout à fait étonnant, dont la portée révolutionnaire nous atteint encore de plein fouet, inentamé. Il toucha la terre. Simplement, il prit la terre à témoin. La vérité de sa parole ne repose pas ailleurs que dans ce monde-ci. Aucun dieu ni aucun ciel au-delà ne peuvent déstabiliser la confiance du Bouddha en la terre de l’expérience humaine.

La méditation, un geste d’abandon
Il existe dans la tradition bouddhiste un moyen fiable de développer un sens de confiance : la pratique de la méditation assise. Contempler en son esprit la nature des phénomènes, traverser le voile des illusions et toucher, enfin, la réalité de son existence : la méditation est une ressource encore méconnue en Occident. A l’exemple du Bouddha, il est possible de s’asseoir sur un coussin, en restant immobile, alerte, les sens connectés à ce qui est là présent, en laissant tomber tout commentaire et jugement. Par la posture même que nous adoptons, la proclamation du Bouddha résonne encore. Il s’agit de faire confiance à ce que nous sommes, au niveau le plus basique. Loin d’être réservé à une élite intellectuelle ou spirituelle, ce chemin dans sa parfaite simplicité s’ouvre à tous. La confiance ne dépend, du point de vue bouddhiste, d’aucune condition. Elle est sans condition. Comme la pratique de la méditation, elle croît et grandit de manière naturelle, dans le travail que chacun fait pour y laisser de la place en lui.
Le bouddhisme indo-tibétain, et plus largement les tenants du Grand Véhicule (mahayana) reconnaissent une pratique nommée « union de shamatha et de vipashyana ». Shamatha signifie « reposer dans la paix », cette pratique vise à amener un sens de calme, d’apaisement des tensions et de lâcher prise des agitations mentales. Il s’agit d’y abandonner tout projet, en se reliant simplement au présent, à travers l’attention mouvante au souffle et aux perceptions corporelles. Ainsi, selon l’image traditionnelle, la boue des pensées peut se déposer naturellement au fond de l’eau de l’esprit et sa clarté originelle apparaît. Vipashyana signifie « conscience en éveil » ou « vision pénétrante », vigilance qui ouvre à une présence bien plus vaste que la seule pratique de l’attention. A travers cette forme de méditation, le monde devient clair, les sensations se font plus riches et plus précises, la conscience n’est plus focalisée sur le moi mais le déborde, le dépasse, l’englobe. L’union de l’attention et de la clarté d’esprit est le ressort majeur du bouddhisme.

Un potentiel présent en chacun
La méditation est en soi un geste de grande confiance. Ce qui la rend possible est le sentiment, ancré chez les maîtres de la tradition, de l’inséparabilité entre l’éveil et la confusion. Les êtres ordinaires que nous sommes, pris dans nos névroses et nos folies, sont fondamentalement des bouddhas. C’est l’immense proclamation du mahayana, à travers la doctrine de la « nature de bouddha ». Cet enseignement, aussi connu sous le nom de troisième tour de roue, fait suite à la vérité de la souffrance et à la dissolution d’un moi propre par la réalisation de la vacuité. Aussi, le terme de nature ne doit pas nous égarer. D’une certaine manière, reconnaître que nous sommes éveillés est le sens du chemin. Il n’y a rien à fabriquer ni à ajouter. Nous le sommes, mais un travail est nécessaire. Méditer, contempler et étudier nous y amène graduellement, car cette nature n’a rien d’immédiat ou de facile. Il s’agit plus d’un trésor à retrouver ou d’un royaume à conquérir, plutôt que d’une présence immuable. Le terme sanscrit qui désigne ce potentiel d’éveil est « tathagatagarbha ». La première partie du mot, tathagata, est un des noms du Bouddha, « l’ainsi allé », lui qui est entré dans le courant de la vie au lieu de rester sur la berge. La seconde moitié est composée de garbha qui veut dire parfois graine, réservoir ou cœur. C’est l’embryon de bouddha qui nous caractérise, qui que nous soyons, par le simple fait d’exister.
Cela a fort à voir avec la confiance. Sans connaissance de qui nous sommes, comment nous faire confiance, comment même rencontrer l’autre ? Or, la « nature » humaine n’en est pas vraiment une. En tant qu’hommes, nous avons à la redécouvrir sans cesse. Le maître Chögyam Trungpa s’étonnait du fait que les animaux, par exemple les chats, soient toujours eux-mêmes. Quoi qu’il arrive au chat, il se comporte en chat, sa « chat-ité » lui est bien plus naturelle que notre humanité ne l’est pour nous. C’est pourquoi le fait de parler de bonté primordialement présente en chacun ne peut jamais nous faire oublier la méchanceté, l’aveuglement, toutes les manières qu’ont les hommes d’être « in-humains ». Dans le bouddhisme, la méthode pour vivre en accord avec ce potentiel d’ouverture et reconnaître, sans fard, tout ce qui nous en éloigne, est avant tout la pratique de la méditation assise.


Nicolas D’Inca 

Article paru dans "Bouddhisme Actualités" en juin 2009

mardi 4 août 2009

Interventions "Au-delà du sujet, la liberté ?"

Voici les interventions prévues au Colloque "Bouddhisme et Psychanalyse : Au-delà du sujet, la liberté ?" organisé par une association de jeunes psychologues cliniciens, qui aura lieu le samedi 19 décembre 2009 à Paris. Ce blog servira de relais à toutes les informations ayant un lien avec ce colloque, qui s'annonce très intéressant, grâce à la qualité des intervenants et l'approche novatrice du problème. Voici une brève présentation de ce qui nous attend.


Michel Cazenave

« Relecture de Jung : le complexe du moi et son nécessaire dépassement (Jung et la spiritualité orientale). »


Contrairement à ce que qu’on croit d’habitude, Jung a toujours considéré que le moi n’était qu’un complexe – à construire sans doute, selon les modalités propres à chaque culture, mais, d’autre part, devant être dépassé.

C’est pourquoi il est allé chercher le concept de Soi dans les Upanishads indiennes – étant entendu toutefois que le Soi n’est pour lui qu’un « concept-limite », qui marque la frontière entre la psychologie et la métaphysique.

Quant à la réalité centrale de ce dernier domaine, ouvertement influencé par le néoplatonisme de Plotin, par la théologie négative du Pseudo-Denys, de Jean Scot Érigène et de Maître Eckhart, Jung a toujours considéré qu’il était de l’ordre de l’impensable et de l’irreprésentable, et qu’on ne pouvait donc le cerner que par la reconnaissance d’une ignorance essentielle.


Alain Gaffinel

« La méditation est-elle une thérapie ? »

Le terme de méditation Bouddhiste recouvre en fait des pratiques très variables dans leur forme et dans leur fond. Se plaçant dans la filiation de Chögyam Trungpa et dans le chemin ouvert par Prajna & Philia, le Dr Alain Gaffinel nous présentera la pratique de la méditation et nous montrera en quoi elle n'est pas une thérapie, ou alors une thérapie sans thérapeute et sans patient, et comment, en même temps, elle est l'espace même d'une rencontre possible avec soi.


Jean-Luc Giribone

« A la recherche du moi : une lecture croisée de Chögyam Trungpa et de Jacques Lacan. »


Pour le bouddhisme, tel que Chögyam Trungpa le présente aux Occidentaux, comme pour la psychanalyse, telle que Jacques Lacan la reformule, le moi est une instance trompeuse, source d'illusion et de méconnaissance. Mais s’agit-il dans les deux cas de la même illusion, de la même méconnaissance, et, finalement, du même moi ? Par une lecture croisée de ces deux auteurs majeurs, Jean-Luc Giribone nous donnera des éléments de réponse…


Fabrice Midal

« L'ego dans le bouddhisme.

Structure d'une illusion. »


Ce que le bouddhisme nomme ego n'a rien à voir avec sa notion en philosophie et en psychologie, il n'est compréhensible que d'une façon structurelle ou topologique. Le coeur de l'enseignement du Bouddha est l'affirmation que l'ego est une fiction. Que la vérité de l'existence humaine est la dimension du non-ego que C. Trungpa à nommé en anglais "egolessness" — mot qui est entré grâce à lui dans le dictionnaire d'Oxford. L'ego est un rapport à l'espace qui le crispe et tente de s'en saisir. Peut-on saisir l'espace ?


Jean-Jacques Tyszler

« Y a-t-il un sujet de l’inconscient ?

Sujet dénaturé par la pulsion, sujet divisé par le fantasme ou objet cause du désir, quelques définitions du sujet pour la psychanalyse. »


Le monde contemporain ôte, dans la réalité même, et en dépit de l’individualisme ambiant, toute place au sujet. Les psychanalystes se contenteront-ils d’une protestation humaniste ? Le terme de sujet ne renvoie pas pour nous à l’affirmation d’une subjectivité autonome que seuls les contraintes extérieures et le refoulement viendraient entraver. Divisé par le signifiant, lié à un objet qui cause son désir, le sujet de l’inconscient est plutôt une place vide, qui assure, dans la structure et dans le temps, la possibilité d’un jeu minimal. Cela n’impliquerait pas pour autant que la cure viserait, en dernier ressort, à permettre à qui la traverse de plus s’autoriser que de son désir singulier. Celui-ci s’inscrit dans un champ qui est collectif autant qu’individuel où la question de la responsabilité de chacun peut se trouver posée.

samedi 1 août 2009

Le travail le plus dur au monde : la présence

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Et si le plus difficile à faire était aussi le plus simple ?

Nous pensons les deux termes en opposition, mais le contraire du simple ce n'est pas le difficile, c'est le compliqué. Le présent n'est pas compliqué, il n'est que ce qu'il est, une seule situation à un moment donné. Alors, qu'y a-t-il de plus simple que rester présent ? Mais pour autant, le faisons-nous bien souvent ?
Il suffit de s'asseoir quelques minutes sur un coussin de méditation pour se voir partir à la dérive à la moindre occasion. Par chance, le corps reste à sa place (c'est déjà ça !) et puis on respire toujours, qu'on y prête attention ou non. Mais cet ancrage mis à part, le "reste" dont dépend la pratique toute entière, la sensation du corps comme du souffle, c'est l'esprit. Et alors lui, c'est une autre affaire que de l'amener à rester présent. Cela s'avère même très, très difficile. Toujours emporté ailleurs. Les pensées se chevauchent, se suivent et ne se ressemblent pas. A vrai dire, ça n'a souvent pas grand sens. Mais lorsqu'on pratique, il semblerait qu'il y ait toujours autre chose à faire que d'être présent...

Comme l'écrit Jon Kabat-Zinn dans son livre L'éveil des sens :
« Etre présent est loin d’être trivial.
C’est peut-être le travail le plus dur du monde.
Oubliez le « peut-être ».
C’est le travail le plus dur du monde »

Eh bien voici nommé le plus dur travail du monde : être présent.
C'est difficile, mais c'est simple, pour la bonne raison qu'il suffit de le faire. Pas besoin d'avoir de grandes dispositions pour s'ouvrir à la présence, ce n'est pas le moment d'être particulièrement ingénieux, performant, sûr de soi... quoi que cela puisse être très bien par ailleurs, ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. L'effectivité n'est pas de mise, car il suffit de porter attention au présent, qui ne nous a pas attendu pour exister. Il suffit d'écouter ce que dit le monde. Porter attention à ce qui est déjà là. Non fabriqué, n'attendant que notre participation pour se déployer à sa pleine mesure, le présent est là.
La méditation assise est le moyen le plus simple, le plus direct et le plus immédiat pour accéder à cet état d'attention que requiert la présence. C'en est le développement et la pratique même, la réalisation sur-le-champ.

Sur ce, je pense que c'est l'heure d'aller travailler durement !